Un brigand

 

 

Dans la région de Gaillac (81), beaucoup de personnes connaissent encore, au moins de nom, l'histoire de la bande à Mina. Et pour cause ! Près de 50 personnes furent mises en cause dans cette histoire dans les années 1830/1840.

Le personnage principal, DALBIS Jean Baptiste, était le frère de mon arrière-arrière-grand-père, et pourtant dans ma famille, on disait que c'était seulement un homonyme, et non pas quelqu'un de la famille.

Ce DALBIS Jean Baptiste naît le 12 septembre 1809 à Gaillac (81), de Jean Baptiste et de GABAUDE Marie. Il porte plusieurs surnoms : Carrat, l'aboucat, Latranche, Parisien. Il est condamné à l'âge de 15 ans à 2 ans de maison de correction pour tentative de vol; 2 ans 1/2 plus tard, il écope de 15 mois de prison pour évasion avec bris de la prison de Gaillac. L'année suivante, en 1827, est condamné à 5 ans de prison pour vol et à 10 ans de surveillance par la police. Il subira sa peine à la prison de Nîmes - où il apprendra à lire et à écrire - il en sortira le 8 août 1833. Il écope d'une nouvelle peine de 10 ans de prison pour vol par la cour d'assises du Tarn le 30 juin 1834.

Lithographie de SALABERT    

Tout ce qui suit est extrait des travaux rédigés par Mrs CALVET Jean, GRAND Pierre.

Tout commence dans les années 1830. De nombreux vols et agressions sont commis en ville et dans la campagne environnante. Un début de terreur commence à apparaître parmi la population. Dans la nuit du 17 juin 1833,  le couvent de St Joseph de l'Apparition  est envahi par plusieurs membres de la bande, désireux de le dévaliser.

Les vols et pillages continuent jusqu'à la nuit du 24 au 25 janvier 1834 au cours de laquelle plusieurs membres de la bande assassinent les époux COUTAUD et leur servante. Cet assassinat fut commis dans la rue du Foiral, actuellement rue des frères Delga. Ce crime dès qu'il fut connu, mit le comble à la terreur des Gaillacois et déclencha une enquête policière, qui n'était pas parvenue jusqu'à présent, à mettre la main sur les auteurs des multiples méfaits et agissements commis dans la ville et ses alentours.

Le parquet prévenu, se transporte sur les lieux et trois médecins légistes sont nommés en vue d'examiner les 3 corps. De l'examen des corps et de leurs constatations, les praticiens concluent : COUTAUD a reçu 9 blessures faites par des instruments tranchants et piquants qui paraissent affecter trois formes différentes. Les blessures les plus promptement mortelles sont celles qui ont atteint, dans la poitrine, l'artère aorte et le poumon. COUTAUD n'a pas été assassiné dans son lit. Le premier coup porté paraît l'avoir été près de la grande armoire dans la chambre. COUTAUD vivait encore, quand on l'a entraîné vers le palier de l'escalier où son cadavre à été trouvé.

Les cadavres des 2 femmes (sa femme et leur servante) furent trouvés placés devant le lit de la servante. La bouche de la femme COUTAUD a été comprimée avec un tampon de linge pour étouffer ses cris. Le corps de la servante a été trouvé accroupi, comme une personne qui est frappée en descendant du lit. La femme COUTAUD a succombé aux blessures qui ont atteint l'oreillette droite du coeur et le poumon gauche. Elle n'a pas été assassinée dans son lit, mais devant celui de la servante. La mort de la servante est due à la blessure au coeur d'abord et, secondairement , à toutes celles qui ont intéressé le lobe gauche du poumon. Elle a été tuée près de son lit, au moment où elle en descendait.

Les médecins légistes concluent :
- l'identité parfaite des blessures trouvées sur chacun des cadavres démontre que les mêmes assassins ont coopéré sur les 3 victimes à l'exécution du crime;
- cette identité démontre encore que le meurtre des 3 personnes a été successif et que, par exemple, on n'a pas tué à la fois et dans le même moment les 2 femmes qui habitaient sur le derrière de la maison et COUTAUD qui couchait dans l'appartement dont les fenêtres ouvrent sur la rue;
- 3 instruments, différents de forme, ont servi à consommer le massacre. Le premier peut bien être un de ces couteaux de cuisine connu sous le nom de tranche-lard et qui, après un long service, ont ordinairement des lames fort étroites. 33 coups ont été porté avec ce couteau : 4 au mari, 12 à la femme COUTAUD et 17 à la servante. Le deuxième instrument ressemble à la lame d'un demi-espadon ou d'un poignard. On s'en est servi 12 fois : 3 contre le mari, 5 contre la femme COUTAUD et 4 contre la servante. Le dernier instrument est probablement une baïonnette, ou mieux encore une épée. Il a causé 8 blessures : 2 au mari, 3 à sa femme et 3 à la servante.

53 coups en tout, ont atteint les 3 victimes :
- 9 donnés à Dominique COUTAUD,
- 23 donnés à Marie FONVIEILLE son épouse,
- 24 donnés à leur servante Marie GARDES.

L'identification et l'arrestation des auteurs de ce triple assassinat sont dues à des circonstances fortuites. Le frère de la victime, en entendant des enfants discuter dans la rue, provoque l'arrestation de 3 hommes (DALBIS Jean Baptiste, SALABERT Jean Pierre Auguste et GINESTET François Guillaume), puis un peu plus tard de 2 femmes (DALBIS Anne, la soeur de Jean Baptiste et JULIA Anne) accusées elles de vol et de recel.

Une minutieuse instruction suit ces arrestations. La culpabilité des prévenus ayant pu être établie, les 5 accusés comparaissent devant la cour d'assises du Tarn, du 24 novembre au 1er décembre 1834. 
A son issue, les 3 hommes furent condamnés à mort, et les 2 femmes furent acquittées.

Mais au cours de la dernière séance, DALBIS fit des révélations sur les auteurs et leurs complices de cet assassinat. Ces révélations lui valurent un peu plus tard, une commutation de peine.

A la suite de ces révélations successives savamment distillées de procès en procès, 51 personnes comparurent devant la cour d'assises du Tarn lors de 7 procès au cours des 4 années suivantes.

2ème procès, en février 1835 : un accusé est condamné aux travaux forcés à perpétuité, un autre sera acquitté.

3ème procès, en août 1835 : un accusé est condamné à mort, deux autres sont condamnés respectivement à 10 et 15 ans de travaux forcés.

4ème procès, en décembre 1835 : 4 accusés sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité, un autre le sera à 15 ans de travaux forcés et 2 autres seront acquittés.

5ème procès, août 1836 : 5 accusés sont condamnés à 15 ans de travaux forcés, 4 à 5 ans de prison, 3 à 4 ans de prison et 2 autres à 3 ans de prison; 2 acquittements.

6ème procès, mars avril 1837 : 1 accusé est condamné aux travaux forcés à perpétuité, 1 à 15 ans de travaux forcés, 2 femmes sont condamnées respectivement à 10 ans de travaux forcés et à 10 ans de réclusion. D'autres accusés sont condamnés à 10, 8 et 6 ans de réclusion et 5 ans de prison. 2 acquittements.

7ème procès, mars 1839 : une femme est condamnée à 4 ans de prison.

Au cours des 7 sessions d'assises, il fut donc prononcé :
- 4 condamnations à mort. 3 furent effectives, celle de DALBIS ayant été commuée en celle des travaux forcés à perpétuité en "remerciement" de ses révélations;
- 6 condamnations aux travaux forcés à perpétuité;
- 13 condamnations à des peines de travaux forcés;
- 6 condamnations à la réclusion;
- 14 condamnations à des peines de prison;
- 5 acquittements.

2 des condamnations à mort eurent lieu à Gaillac à l'emplacement actuel du calvaire, le 16 février 1835.

Ce DALBIS était dit-on d'une rare intelligence, et chose rare, il savait lire et écrire. Il avait reçu des rudiments d'instruction dans les maisons de correction où il avait passé sa jeunesse. Condamné à mort lors du premier procès, sa peine fut  commuée en travaux forcés à perpétuité le 23 février 1835. Voyant sa vie sauve, et pour faire adoucir encore sa peine, il se porta à chaque moment favorable, dénonciateur de ses complices avec une habilité qui fait de lui un modèle du genre.
Dans son cachot, il détenait certains éléments de la procédure. Il disposait d'une large provision de papier à écrire, se préparant à de nouvelles révélations, révisant son système d'accusations, les combinant, se faisant à lui-même des objections pour y répondre.
Accusateur quasi public, il soignait ses entrées devant le tribunal : mise recherchée, casquette de velours, cravate de soie, souliers cirés, tout un luxe de breloques au cou, mains gantées bleu ciel, montre gousset.
Suivant les nécessités de l'instruction, on le transportait de Gaillac à Albi et vice-versa. Partout, on l'attendait sur son passage comme s'il était un grand artiste; et il l'était pour ménager et graduer les effets de ses révélations avec un réel talent. Dans chaque agglomération, il était attendu, fêté ou redouté. De tous côtés, mais pour des raisons contraires, on avait intérêt à ce qu'il parle ou se taise.
Ses complices eux-mêmes, tant qu'ils furent en liberté, lui envoyaient pour ne pas être dénoncés, ce que DALBIS appelait sa pension. Et quand ils manquaient de la payer, il les y rappeler. En prison on lui faisait passer de l'argent et des friandises. On organisait des quêtes. On l'autorisait à garder dans sa cellule une pie qu'il avait apprivoisée et qui se perchait en permanence sur son épaule.

Maison de justice de Toulouse, le 12 mars 1834 "Mon ami Mina, je tiendrais le secret du marchand que vous avez noyé chez Espaillac. Mais je te prie de me faire passer de l'argent car je vais partir bientôt; autrement je te vends comme les autres. J'ai tenu le secret jusqu'à ce moment. Je ne parle pas davantage. Adieu mon ami pour la vie. Dalbys Jean dit Carrat"

Maison de justice de Toulouse le 18 mars 1834 "Ma chère Espaillague, je tiendrai le secret de tout le reste mais je vais partir bientôt. Je vous prie de me faire passer de l'argent. Rien de plus à vous dire. Je vous salue de tout mon coeur. Dalbys Jean dit Carrat"

Il meurt à la prison St Michel de Toulouse le 8 décembre 1837, à l'âge de 26 ans. A-t-il été assassiné afin qu'il cesse ses révélations ? Mystère ...

 

Liste des principaux protagonistes de l'affaire :

- ALBENGE Marie, épouse AMARE (5 ans de prison)
- ASTRUC Bernard Auguste, dit Treilles, coutelier, fabrique les poignards pour les assassinats (acquitté)
- BALARAN Barthélémy (5 ans de prison + 3 ans de surveillance)
- BALITRAN Jeanne Marie, épouse BLATGE, cabaretière (4 ans de prison)
- BOMPAR Jean, dit Jean Flô, cabaretier (15 ans de travaux forcés + exposition)
- BOMPAR Mariette, épouse RAMOND, sans profession, maîtresse d'ESTÈVE (3 ans de prison)
- BOUGNOL Antoine Jean, dit Résségou (15 ans de travaux forcés)
- BOUGNOL Marie, mère du précédent, tient un bordel dont CASTEL fils est souteneur 
- CASTEL Antoine fils, dit Le Rouge, tonnelier (travaux forcés à perpétuité)
- CASTEL Jean Baptiste père, dit Rest, ancien militaire, chevalier de la Légion d'Honneur (acquitté)
- CATHALA François Jean, dit Capichou, cultivateur (5 ans de prison)
- CAZELLES François Joseph, contremaître d'un four à chaux (peine de mort)
- CHAYNES Pierre, dit Sanguinaire, cultivateur (5 ans de prison + 3 ans de surveillance)
- CHAYNES Raymond, dit Sanguinaire, cultivateur (5 ans de prison + 3 ans de surveillance)
- DALBIS Anne, dite Carrade, couturière, femme ANTOINE, maîtresse de Cazelles (acquittée)
- DALBIS Jean Baptiste, dit Carrat, chiffonnier (peine de mort commuée en travaux forcés à perpétuité)
- DARLES Marie Jean Melchior, dit Lessart, receveur de l'octroi (travaux forcés à perpétuité + exposition)
- DELRIEU Henri, dit Sigoulène, chapelier (acquitté)
- DIOS Marie, épouse LHOSTE (10 ans de réclusion)
- ESPAILLAC Pierre Rose, aubergiste (15 ans de fers)
- ESTÈVE Jean Pierre, dit Quillou, aubergiste (travaux forcés à perpétuité)
- FABRE  Jean Antoine, dit Mina, portefaix (travaux forcés à perpétuité)
- FABRE Urbain, dit Fricou (5 ans de prison)
- GAUBERT Jean Pierre, dit Bataillé, cultivateur (4ans de prison + 4 ans de surveillance)
- GAYREL Jean Louis, dit Souel (15 ans de travaux forcés + exposition)
- GAZAGNES Élisabeth, épouse ESPAILLAC, aubergiste (travaux à perpétuité)
- GINESTET François Guillaume, dit Le Tondu, portefaix (condamné à mort)
- JULIA Anne, servante à l'auberge Espaillac, maîtresse de Ginestet (acquittée)
- LARROQUE Antoine, dit Rossignol (travaux forcés à perpétuité)
- LOUBET Jean Pierre (8 ans de réclusion + exposition)
-
MARMANDE Marie Anne, cabaretière
- NAVES Delphine, femme du commissaire Bossu (10 ans de travaux forcés)
-
PORTAL Jean (6 ans de réclusion + exposition)
-
RAMOND Cécile, épouse BOUGNOL
- RAMOND François, dit La Mort, roulier (15 ans de travaux forcés + exposition)
- RAYNAL Joseph, dit Pistoulet, menuisier (15 ans de travaux forcés + exposition + surveillance toute sa vie)
- REILLES Louis dit Reillou, portefaix (acquitté)
- ROUQUAN Jean Jacques, maçon (8 ans de réclusion + exposition)
- SALABERT Jean Pierre Auguste, dit Lalèbre, portefaix (condamné à mort)
- SALVY Louis, dit Berruquet, tondeur de bestiaux (15 ans de travaux forcés)
- SEGUIER Jean Baptiste, dit Cop de Païs, cultivateur (4 ans de prison + 4 ans de surveillance)
- SOLOMIAC Pierre, ouvrier maçon (10 ans de prison)
- SURBAYROLLES Urbain (8 ans de réclusion)
-
TAHOU André (12 ans de travaux forcés + exposition)
- TERMES Bernard, dit Trouilhé, portefaix (15 ans de travaux forcés + exposition)
- TERMES Justine, dite La Grabado, sans profession (3 ans de prison)
- VIALAR Jean, dit Requista (15 ans de travaux forcés + exposition)
- VIEULES Jean Antoine, dit Vieulou, cultivateur (5 ans de prison + 3 ans de surveillance)
- VIGNOLLES Jean Clément, dit Lou Rey, portefaix (acquitté)

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